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149 - L'inspiration de la Nature

(selon "La Condition humaine" de René Magritte - 1933)

"La Condition humaine"

En 1935, René Magritte peint une toile énigmatique. Dans cette toile, il y représente un tableau devant une fenêtre, sur lequel est peint le paysage que l’on voit à la fenêtre. Le tableau de la toile représente ce qui se trouve au delà. On ne repère pas immédiatement ce qu’il s’y passe, il faut un petit moment pour comprendre que devant la fenêtre, il y a un tableau. A vrai dire, c’est le chevalet et le léger empiétement du cadre du tableau sur le rideau qui borde la fenêtre qui nous indiquent que la vue extérieure est cachée. 

On s’interroge, un moment de perplexité, puis l’œil parle : « Mais, qu’y a-t-il vraiment derrière si l’on pousse le tableau de la toile ? » et de constater que l’on y perd rien, puisque ce qui est derrière est là, sur le tableau représenté.. 

Mais de nouveau un doute s’immisce : car un tableau ne peut représenter un mouvement en direct, il se pourrait que derrière s’y trouve un « être » en mouvement qui ne saurait y avoir été représenté... En fait de question de mouvement, l’œil est frustré par la fixité du tableau dans la toile. Et il est pris. Pris dans l’illusion qu’il pourrait y avoir derrière la fixité du tableau un mouvement ; et l’œil se surprend de sa propre cénesthésie à s’élancer sur le coté du tableau pour voir… au-delà. Mais à vouloir pousser ce tableau, c’est dans le leurre que le spectateur s’aliène. C’est que Magritte a représenté, dans sa toile, un tableau qui prétend y montrer ce qu’il cache. Et le spectateur, saisi par l’impossible et par la pulsion scopique, en oublie que c’est un tableau qu’il regarde. Cette toile, c’est à la fois un leurre - le tableau de la toile qui prétend présentifier l’absence de la Chose [1]- et un trompe l’œil - lorsque l’œil s’exclame : « mais comment savoir si ce tableau représente ce qu’il cache ? » 

Cette toile est aussi un trompe l’œil car s’il est à jamais impossible au spectateur de voir derrière le tableau ; il lui reste néanmoins, en tant que sujet, possible de se questionner et d’imaginer - s’il s’affranchit de la fixité illusoire du symptôme - un au-delà au tableau. 

Il faudrait en perspective lacanienne, resituer que ce qu’il en est de l’écoute analytique est du coté du trompe l’œil : qu’en éthique analytique, c’est nécessairement du coté d’un certain rapport au tragique que s’y entendent les choses. En d’autres termes, on se demanderait si la texture de l’analyse n’est pas celle-la même que celle qui tisse le tableau de Magritte, celle d’une mise en représentation et d’une réélaboration de l’expérience fondamentale de la perte originelle : d’une reconnaissance de l’inéluctable présence d’une absence, d’un vide au cœur de la réalité ? A ce titre, l’art du trompe l’œil à la différence du réalisme du leurre, se spécifie de créer en lieu et place du manque de la Chose un rapport au Réel[2] qui n’est pas celui d’une suture symptomatique, mais celui d’une ouverture sublimatoire, c’est à dire celui qui permet que se ré-initie le « procès de la signifiance ». On y entend alors la familiarité qui unit le symptôme et le leurre, l’un et l’autre comme sutures au manque, comme « bouches-trou » au Réel. C’est dans ce travail de dé-signation qu’engage l’art qu’on peut être amené à saisir que Je ne suis pas Moi, permettant ainsi le passage d’un fonctionnement moïque à celui d’une expérience du sujet, expérience qui présentifie le manque en le voilant/dévoilant... 

François Desplechin.